Le Prix Léon Bourgeois de 2020

Retrouvez ici la lauréate, le résumé de sa thèse et le jury du Prix Léon Bourgeois 2020

La lauréate

Natália Frozel Barros

UN OCEAN D’INCERTITUDES : PROBLEMATISATIONS ET MISE EN FORME LEGALE DES FONDS MARINS PAR LE TRAVAIL DIPLOMATIQUE (1960-2016)

MOTS-CLES : Problème public international ; problématisation ; diplomates ; multilatéralisme ; Nations Unies ; droit international ; droit de la mer ; patrimoine commun ; environnement ; nucléaire ; marché.

[Résumé de la thèse] Au prisme de l’activité diplomatique multilatérale aux Nations Unies, cette thèse étudie la création, la réécriture et les successives mobilisations du régime juridique des fonds marins internationaux, reconnus comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité. Dépassé pour certains, utopiste pour d’autres, ce principe est considéré comme une voie pour assurer la paix mondiale ou pour que les pays moins avancés sur le plan technologique puissent bénéficier des ressources trouvées dans les fonds marins. Il est étonnant que ce principe idéaliste et lié à des demandes de pays dominés voit le jour et revienne sans cesse au centre de la politique multilatérale. Comment les diplomates écrivent-ils ces « lois » internationales improbables ? De quelle façon donnent-ils corps au patrimoine commun de l’humanité ? Le propos central est de prendre l’activité diplomatique à la lumière de la sociologie de l’action publique. Les cas du Brésil, de la France et des États-Unis sont privilégiés pour approfondir l’analyse des dynamiques d’action transnationale en lien avec le cadre multilatéral. Cette démarche permet de saisir l’évolution du droit comme une transformation dans la manière dont les diplomates problématisent les enjeux liés aux fonds marins (successivement comme une affaire sécuritaire, économico-morale, économico-marchande et environnementale) et dans la façon dont ils gèrent les incertitudes (techniques, économiques, politiques) dans la négociation. Sous cet angle, la thèse dévoile l’économicisation du travail diplomatique à partir des années 1990. Les diplomates importent dans le jeu multilatéral des catégories du marché, justifient les cadrages des problèmes à résoudre en s’appuyant sur des arènes extérieures comme celle de l’OMC, ce qui diminue, à terme, l’autonomie des États, notamment les moins puissants, fortement visibles dans les années 1960. La trajectoire du principe de patrimoine commun de l’humanité dévoile ainsi la transformation d’un droit international des mers idéaliste en un droit de plus en plus gestionnaire. Les résultats tirés du cas d’étude du gouvernement des océans se prêtent à deux montées en généralité connexes et dépeintes tout de long de la thèse. En dialogue avec les théories sur l’organisation de l’espace international, la thèse met au jour les conditions historiquement changeantes de mise en problème, de cadrage et de formulation de solutions à l’origine de l’écriture des traités. Progressivement, les calculs des diplomates sont moins captés par les clivages du jeu politico-diplomatique que par la place occupée par leurs pays au sein du marché international. Cela s’explique en raison de trois facteurs : la consolidation d’instruments managériaux et techniques dans les arènes nationales et internationales ; l’impératif de « désétatisation » dans le sens d’une dépersonnalisation des solutions défendues en négociation ; et le déclin des camps politiques clairs de la Guerre froide. La thèse a ainsi pour ambition de proposer un cadre analytique ancré dans la sociologie politique de l’action publique internationale et de le rendre transposable à l’analyse d’autres traités internationaux. Dans le même temps, en tant que monographie, le cas du patrimoine commun est un cas privilégié pour étudier l’écriture du droit comme une activité de modélisation du futur. En ce sens, le régime est élaboré avant même que l’Homme ne maîtrise, sur le plan technique, les abysses marins. Animés au départ par des promesses et prophéties à fort contour politique (instituer la paix, diminuer les inégalités Nord-Sud par le droit, 1960-1980), les diplomates réduisent les incertitudes du futur au moyen de règles rigides. Par la suite, ils intègrent dans l’élaboration du droit les incertitudes qu’ils proposaient auparavant d’éliminer. Au travers de l’écriture de règles plus flexibles, ces diplomates produisent davantage de l’attente et mesurent des risques (assurer la rentabilité commerciale, anticiper des risques environnementaux, 1990-). L’économicisation du travail diplomatique rime ainsi avec une transformation profonde dans la façon dont ces acteurs modélisent le futur. Les diplomates ne réduisent plus les incertitudes grâce à un jeu politique clair, capable d’apporter ses propres certitudes. Désormais, en écrivant des règles flexibles, ils composent avec l’incertain. La thèse articule des méthodes variées, comme l’observation participante et non-participante sur trois ans dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies et d’autres espaces diplomatiques ; la consultations d’archives onusiennes et nationales du Brésil, de la France et des États-Unis ; des entretiens semi-dirigés auprès de quarante-deux diplomates en plus d’autres professionnels de l’univers onusien ; la base prosopographique-professionnelle et la statistique descriptive pour rendre compte des configurations multilatérales élargies des conférences intergouvernementales, ainsi que l’analyse des rapports et documents officiels et officieux de travail.

Les membres du jury

POUR L’ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LES NATIONS UNIES

Bernard Miyet, Président de l’Association Française pour les Nations Unies
Jean-Maurice Ripert, Ambassadeur de France
Cécile Pozzo di Borgo, Diplomate et Haute fonctionnaire

Pour la Fondation Kofi Annan

Corinne Momal-Vanian, Directrice exécutive de la Fondation Kofi Annan
Pierre de Senarclens, Professeur honoraire de relations internationales à l’Université de Lausanne
Daniel Warner, ancien adjoint du directeur, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement

Pour le GRAM

Franck Petiteville, Professeur des universités à Sciences Po Grenoble, Président du jury
Auriane Guilbaud, Maîtresse de conférences à l’Université Paris 8
Marieke Louis, Maîtresse de conférences à Sciences Po Grenoble