Les lauréates
Sabine Dini (thèse, lauréate)
Gouverner les migrations internationales par le don. Une ethnographie économique de l’intervention du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Djibouti, 1977-2019
Résumé : La thèse traite de la gouvernance par l’aide des migrations internationales en Afrique. Elle interroge les logiques d’obligation et de réciprocité à l’œuvre dans le dispositif de coopération asymétrique fondé sur l’aide entre les États bailleurs de fonds, les organisations intergouvernementales et les États récipiendaires africains. La démonstration repose sur une analyse archivistique et ethnographique du transfert de ressources orchestré par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), à Djibouti, petite République de la Corne de l’Afrique, entre 1977 et 2019. En mobilisant le concept de don organisationnel, l’argument met en lumière les conditions permettant de faire basculer une aide matérielle en un véritable rapport social. Les institutions qui font alliance, ne sont pas simplement liées par contrat, mais elles s’inscrivent dans un rapport de réciprocité qui parvient à « obliger » l’État récipiendaire de l’aide. L’analyse propose donc d’élucider les conditions structurelles qui transforment, à l’échelle internationale, un transfert de ressources en don maussien et, donc, en alliance inter-étatique.
La comparaison des formes de transfert de ressources réalisées dans le pays par les deux organisations intergouvernementales (OIGs) est le socle d’une montée en généralité qui présente deux paradigmes divergents de la coopération interétatique par l’aide en Afrique. La première partie de l’ouvrage, chronologique, traite du transfert de ressources contractualisé que met en œuvre le HCR à partir de 1977. La relation contractuelle nouée avec l’État récipiendaire, loin de transformer la relation d’assistance asymétrique en rapport de coopération égalitaire, participe, en formalisant une relation d’obligation entre les deux parties, à exacerber le rapport de domination entre les États bailleurs de fonds, l’OIG et l’État récipiendaire. À rebours, le dispositif d’intervention réalisé par l’OIM renverse les cadres normatifs de l’aide pour transformer l’État-hôte, non plus en donataire des ressources de l’aide, mais en donateur de sa souveraineté. En requalifiant la relation au niveau symbolique, l’OIM voile l’asymétrie du rapport de coopération interétatique par l’aide et transforme un rapport d’obligation en alliance volontaire et désirable entre les États, donateurs et donataires, fondée sur la réciprocité.
Biographie : Sabine Arkaïda Dini possède un Master de Lettres de la Sorbonne, un Master en Sciences Sociales de l’EHESS et une thèse de sociologie de l’Université Sorbonne Paris Nord dirigée par le Prof. Antoine Pécoud. À la croisée de la sociologie globale et de la sociologie des relations internationales, elle mène un travail de recherche qui interroge la gouvernance des migrations internationales dans la Corne de l’Afrique et compare l’intervention du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et celle de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Djibouti.
Sabine défend un programme de recherche maussien à un triple niveau thématique, méthodologique et éthique. Elle mobilise le paradigme anthropologique du don afin de souligner l’importance de la logique symbolique dans les relations inter-étatiques. Son analyse de l’ordre international repose de surcroît sur une approche sévèrement inductive de l’administration de la preuve qui (ré)concilie empirie et théorie. Enfin, elle considère que l’implication pratique sur le terrain doit être redéfinie comme un impératif éthique de toute enquête.
Sa recherche est inséparable du travail d’enseignement de la sociologie mené comme allocataire-monitrice puis comme ATER à l’Université Sorbonne Paris Nord ainsi que de son travail de consultante experte pour l’Union européenne, l’OIM ou la Banque mondiale.
Maia Müller (mémoire, lauréate)
Mission impossible. L’UNCTC et les tentatives de régulation des multinationales à l’Organisation des Nations Unies, 1974–1992
Mots-clés : UNCTC, Nations Unies, multinationales, régulation
Résume : Ce mémoire se base sur les archives jusqu’alors inédites de l’unité conjointe UNCTC/ECE (United Nations Center on Transnational Corporations/Economic Commission on Europe) pour aborder plus largement la manière dont l’ONU a envisagé la question des multinationales dans les années 1970-1990. Grâce au dépouillement d’une masse importante de documents variés, ce travail offre un aperçu de l’effervescence qui entoure les multinationales durant ces décennies ainsi que du travail des organisations internationales pour essayer de les réguler. Les perspectives d’analyse adoptées permettent de proposer une histoire du Centre des Nations Unies sur les multinationales plus nuancée et quelque peu différente de la manière dont elle a jusqu’ici été présentée par la littérature existante, rédigée exclusivement par des collaborateurs du Centre. Dans un premier temps, ce travail retrace l’émergence du débat autour des multinationales au sein des Nations Unies ainsi que la création et la mission de l’UNCTC. La discussion s’inscrit en effet dans un contexte très large : la régulation des multinationales est mentionnée dans le Nouvel Ordre Économique International comme étant une mesure à adopter pour assurer la souveraineté des pays issus de processus de décolonisation. Au cœur du débat se trouvent donc les relations Nord-Sud, mais également les relations Est-Ouest : la Guerre Froide permet aux entreprises occidentales de dépeindre la régulation comme étant le premier pas vers le socialisme et de présenter le libre marché comme le rempart de la liberté et de la démocratie. Dans ce contexte, la création de l’UNCTC se veut être un espace de dialogue et de réflexion. Son but est d’être un centre de recherche et d’information proposant un soutien aux différents organes des Nations Unies. Dans un deuxième temps, ce travail envisage, à travers une analyse approfondie des archives, la manière de travailler de l’unité conjointe, ses biais et ses limites ainsi que les liens que cette dernière entretient avec d’autres centres de recherche privés. Ceux-ci sont des interlocuteurs importants de l’UNCTC et permettent d’illustrer le rôle des multinationales dans la production d’un savoir les concernant. Ce mémoire est ainsi le premier à s’intéresser à deux centres de recherche et d’information créés et financés par la multinationale Nestlé et à questionner leur influence sur les recherches menées aux Nations Unies. La masse d’articles conservés par l’unité conjointe permet de constater également un biais dans le choix des sources, qui proviennent presque exclusivement de journaux occidentaux rédigés en anglais, allemand ou français. L’analyse de ces fonds d’archives permet aussi de mettre en lumière les difficultés de gérer une telle quantité de documents et d’organiser un système de classement efficace. Enfin, la troisième partie de ce mémoire se concentre sur le projet de rédaction d’un code de conduite pour les multinationales dans le but d’expliquer comment les organisations patronales et le fonctionnement interne des Nations Unies ont contribué à faire du projet une mission impossible à réaliser. Les raisons géopolitiques ont été jusqu’ici privilégiées par l’historiographie pour expliquer les raisons de l’abandon du code de conduite. Si leur importance est incontestable, ce travail insiste sur le fait que les organisations patronales ont exercé une pressions constante sur le projet, dont ils ont cherché de minimiser la portée et les effets. Enfin, le fonctionnement même des Nations Unies a poussé à une multiplication des groupes de recherches et des comités, menant à un éparpillement des ressources et à des tensions internes. Les conclusions de ce travail nuancent ainsi à bien des égards celles proposées par l’histoire institutionnelle et ouvrent de nouvelles pistes de recherche sur la régulation du capitalisme, le travail des organisations internationales et le pouvoir des multinationales.
Biographie : Maia Müller est titulaire d’un Bachelor es Lettres en histoire générale et en ethnologie obtenu dans les universités de Genève et de Neuchâtel. Dans le cadre de son Master en histoire transnationale à l’université de Genève, elle commence à étudier les premières tentatives de régulation des multinationales. Elle prépare désormais un projet de demande de doctorat sur les réactions des organisations patronales face à ces tentatives de régulation.
Les finalistes
AUDE GÉRY (thèse, finaliste)
Droit international et lutte contre la prolifération des armes numériques
Résumé : « How much do you pay for your enemies cyber weapons? » Un groupe qui se fait appeler les Shadow Brokers, qui dérobe ses armes numériques aux Etats-Unis et les distribue gratuitement, avant que l’on les retrouve incorporées à d’autres armes numériques utilisées par des Etats et des cybercriminels. Loin d’un roman de science-fiction, il s’agit d’une affaire bien réelle qui illustre à elle seule les différentes dimensions de la prolifération des capacités cyber offensives. La prolifération de ces biens est un phénomène transnational entièrement intégré, tant en termes d’acteurs que de cibles et moyens utilisés. Compte tenu de la numérisation de la société, la multiplication des attaques informatiques est une menace pour la paix et la sécurité internationales. Lutter contre la prolifération des armes numériques constitue donc un impératif. Cette thèse s’est attachée à montrer comment le droit international pouvait être mobilisé pour faire face à ce phénomène. Elle soutient que la lutte contre la prolifération des armes numériques ne peut s’inscrire dans l’entreprise du désarmement. Les instruments et obligations du désarmement, principalement fondés sur un contrôle du bien, ne sont pas applicables aux armes numériques ou ne peuvent être adaptées de façon à prendre en compte leurs spécificités. Par conséquent, c’est une approche globale fondée sur un contrôle de l’usage intégré dans la « création d’une culture mondiale de la cybersécurité » qu’il convient d’adopter. Elle peut s’appuyer sur le droit international général mais également sur les différentes résolutions et rapports d’experts adoptés au sein des Nations unies et portant sur les technologies de l’information et de la communication. Cette thèse amène à s’interroger sur le droit international du numérique dans son ensemble. Sa mise en oeuvre fait face à de nombreux défis qui compliquent d’autant la lutte contre la prolifération des armes numériques. On peut néanmoins identifier à travers l’existence et la mise en place de mécanismes de contrôle et de vérification les prémices de l’application de cette « culture mondiale de la cybersécurité », la limite étant celle de l’engagement de la responsabilité des acteurs impliqués dans la prolifération qui nécessite d’adapter certaines règles.
Sujet vivant en raison de l’intense activité diplomatique sur le numérique, en particulier au sein des Nations unies, cette thèse s’appuie largement sur l’activité diplomatique des Etats et leur pratique et mobilise de nombreuses branches du droit international pour démontrer les limites et opportunités offertes par le droit international pour faire face à la prolifération des capacités cyber offensives. In fine, cette thèse constitue une première étape pour pouvoir ensuite travailler sur d’autres aspects de la problématique. Par ailleurs, elle ouvre de nombreuses portes pour des travaux futurs en défrichant un sujet d’actualité brûlant dont le droit international commence tout juste à se saisir.
Biographie : Aude Géry est docteure en droit international public et post-doctorante au sein de GEODE. Elle a reçu le prix de thèse de la branche française de l’Association de droit international et le troisième prix de thèse de l’IHEDN pour sa thèse. Ses recherches portent sur la régulation internationale de l’espace numérique et plus particulièrement sur les politiques juridiques extérieures des Etats, le multilatéralisme en matière de TIC dans le contexte de la sécurité internationale et les enjeux normatifs des instruments portant sur le numérique. Elle a participé à plusieurs dialogues de haut niveau sur les questions numériques.
Romain Deshusses (mémoire, finaliste)
« La République des Lettres » : le réseau littéraire de l’Organisation de Coopération Intellectuelle de la Société des Nations
Mots-cles : Coopération Intellectuelle, Société des Nations, réseau littéraire, République des Lettres, CICI, IICI, OCI, Internationalisme
Résumé : Ce travail, présenté en février 2021 à l’Université de Genève (UNIGE) a pour ambition de fournir une étude axée autour du développement de la coopération intellectuelle en lien avec les mouvements artistiques, et en particulier le milieu littéraire, opéré par la Société des Nations.
En 1922 est créée la Commission Internationale de Coopération Intellectuelle (CICI), première pierre à l’édifice de ce qui sera par la suite dénommé l’Organisation de Coopération Intellectuelle (OCI, active de 1919-1946). Composée dans un premier temps de personnalités célèbres venant des milieux scientifiques et artistiques, la CICI a comme principe premier d’assurer une coopération intellectuelle entre les peuples, afin d’assurer et de maintenir la paix entre les nations. Basée sur des idées de peuples, civilisations et de races, la coopération intellectuelle, au sein des organismes de la Société des Nations, est sujette à un certain nombre de polémiques, en provenance de l’extérieur, ou internes à l’institution. Le travail se focalise sur les deux plus grandes institutions de l’OCI, à savoir la CICI déjà citée, puis l’Institut International de Coopération Intellectuelle, organe de la Société des Nations fondé en 1926 sous la tutelle de la CICI.
Ce faisant, l’analyse propose de répondre aux questions suivantes : quelle est l’implication des milieux littéraires dans la création de l’OCI ? Comment se compose le réseau littéraire de la SDN ? Quels sont les travaux envisagés et entrepris par ces organismes, et dans quel(les) mouvance(s) idéologique(s) s’inscrivent-t-ils ?
La discussion s’appuie en très grande majorité sur une analyse institutionnelle et sociologique de l’OCI en premier lieu, puis sur les publications nombreuses de la CICI et de l’IICI. À travers l’analyse des différentes sections littéraires de l’OCI, le mémoire appréhende toute la complexité de la « communauté » que forme la coopération intellectuelle littéraire de la SDN.
L’analyse de différentes sources, couplées aux retours des acteurs des milieux intellectuels ou artistiques, oblige l’historien à offrir un large panorama du contexte foisonnant de la scène culturelle et des différents acteurs de la coopération durant l’entre-deux-guerres. La coopération intellectuelle étant principalement une entreprise européenne et surtout française, c’est sur les textes d’écrivains de cette nationalité que le travail porte son regard en majeure partie. La prééminence de la nation française dans ce domaine est elle aussi relevée et questionnée.
Le constat « d’échec » de la coopération intellectuelle de la SDN, très souvent mis en lumière par la littérature secondaire consacrée au sujet, se voit ainsi fortement nuancé par les résultats du travail. Du point de vue de ses objectifs autoproclamés, le réseau littéraire de l’organisation technique de la Société des Nations accomplit en réalité parfaitement son travail. Sans remplir complétement sa mission de « désarmement moral » en raison des nombreux sympathisants aux idéologies fascistes et totalitaires qui participent aux réunions (allemands et surtout italiens), l’organisation a opéré une « coopération intellectuelle » entre intellectuels reconnus (selon son désir), par le biais de discussions organisées ou par correspondances ensuite publiées. Le travail met également en lumière la dimension universaliste de la sphère littéraire de l’entre-deux-guerres, dont les acteurs constituent un véritable réseau, faisant montre d’une véritable volonté de « coopération » et de dialogue entre personnalités. Au travers des nombreux exemples de sociétés, clubs, échanges épistolaires ou réunions littéraires, « La République de Lettres » de l’entre-deux-guerres, concept cher à Paul Valéry et une majorité du réseau littéraire de l’OCI, se concrétise de façon très nette, en créant un véritable réseau d’échanges et de communications entre intellectuels.
Biographie : Né en 1995 à Genève, Romain Deshusses obtient sa maturité fédérale au collège Calvin avant de poursuivre ses études à l’Université de Genève et littérature français et histoire générale. Musicien de formation et actif au sein de la scène romande, il décide de consacrer la suite de son master en histoire culturelle, en se spécialisant sur l’histoire littéraire ou musicale.
Les membres du jury
POUR L’ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LES NATIONS UNIES
Bernard Miyet, Président de l’Association Française pour les Nations Unies
Jean-Maurice Ripert, Ambassadeur de France
Cécile Pozzo di Borgo, Diplomate et Haute fonctionnaire
Pour la Fondation Kofi Annan
Corinne Momal-Vanian, Directrice exécutive de la Fondation Kofi Annan
Pierre de Senarclens, Professeur honoraire de relations internationales à l’Université de Lausanne
Daniel Warner, ancien adjoint du directeur, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement
Pour le GRAM
Delphine Allès, Professeure des universités à l’INALCO, Présidente du jury
Franck Petiteville, Professeur des universités à Sciences Po Grenoble
Charles Tenenbaum, Maître de conférences à Sciences Po Lille