Le Prix Léon Bourgeois de 2023

Les lauréats

ARTHUR BOUTELLIS (thèse)

Les rivalités de puissance et leurs conséquences à l’ONU : le cas des opérations de paix (1948-2022).

Résumé : Depuis leur création en 1948, les opérations de paix onusiennes se sont adaptées et ont été façonnées par les évolutions de l’ordre international. Si elles ont longtemps fait l’objet d’un relatif consensus, notre thèse démontre que ces opérations sont devenues un terrain de rivalités de pouvoir et d’influence de grandes et moyennes puissances aux intérêts et valeurs de plus en plus divergents. A rebours des thèses libérales qui dominent l’étude du maintien de la paix depuis la fin de la guerre froide, nous proposons une grille d’analyse « réaliste-constructiviste » originale de la notion de puissance et des modes d’action des États à l’ONU (contrainte, influence, résistance), enrichie des méthodes bureaucratiques et de la psychologie politique, qui à notre avis permet de mieux comprendre ces opérations de paix et leurs limites. Nous testons d’abord cette grille d’analyse à travers un historique des opérations de paix de l’ONU de la guerre froide jusqu’au tournant de la stabilisation des vingt dernières années. Nous analysons ensuite les conséquences de la résurgence des rivalités de puissances, au siège des Nations Unies et dans la conduite des opérations elles-mêmes, avec une étude de cas approfondie de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA, 2013-2022). Malgré la capacité des membres du Conseil de sécurité de « compartimenter » leurs différences, ces rivalités risquent d’affecter durablement l’impartialité, la légitimité et la pertinence des opérations de paix. Nous posons la question du futur des opérations de paix dans un contexte de rivalités exacerbées par la montée en puissance de la Chine et la guerre en Ukraine. Enfin, nous soumettons l’idée qu’un désintérêt et désengagement total des puissances serait aujourd’hui encore plus préjudiciable que leur ingérence excessive. L’ONU doit donc mieux prendre en compte cette réalité, sans s’y soumettre.

Biographie :  Docteur en science politique de l’Université Panthéon-Assas, Arthur Boutellis est conseiller senior à l’International Peace Institute (IPI), où il a été directeur, et enseigne à l’Université de Columbia de New York et à Sciences Po Paris. Expert de la médiation et des questions de paix et sécurité internationales, il a précédemment travaillé une quinzaine d’années avec les opérations de paix des Nations Unies, notamment au Mali où il a soutenu les négociations de paix en 2014-2015, ainsi qu’en ONG humanitaires au Moyen Orient. Il est titulaire d’une maîtrise en affaires publiques de l’Université de Princeton, et auditeur de la 72e session de l’IHEDN. Une liste de ses publications est disponible ici.

 

MASSIMO PICO (mémoire)

Préparer son mandat de membre élu au Conseil de sécurité des Nations Unies : analyse des pratiques de la Suisse.

Résumé : Mon travail s’intéresse aux processus par lesquels les futurs membres non-permanents (E10) préparent leur mandat au Conseil de sécurité, par l’étude du cas suisse. Les défis qui attendent les E10 sont complexes, à commencer par la brièveté du mandat (deux ans), la charge de travail exorbitante et la technicité croissante des échanges. En outre, les E10 sont en proie à diverses inégalités vis-à-vis des puissances permanentes (P5), qui bénéficient du célèbre droit de veto, d’une mémoire institutionnelle ininterrompue et d’opulentes capacités diplomatiques. Au moment de se préparer, la Suisse a pu capitaliser sur un certain nombre de ressources administratives et d’acquis diplomatiques. Néanmoins, siéger au Conseil reste en partie un saut vers l’inconnu et bouleverse la politique extérieure des E10 ; pour que le mandat soit une réussite, il convient d’être prêt à entrer en scène le moment venu. Notre analyse des pratiques préparatoires de la Suisse s’inscrit dans une approche de sociologie politique, où les données collectées ont également nourri un cadre conceptuel novateur, formé selon les préceptes de la théorisation ancrée. Nos résultats émergent sous la forme de trois principales pratiques. Premièrement, la Suisse a planifié son mandat en interne, en renforçant ses capacités diplomatiques, en adaptant ses structures administratives et institutionnelles (s’agissant notamment d’intégrer le parlement aux préparatifs) et en anticipant ses futures fonctions dans l’exécutif onusien. Deuxièmement, la Confédération a cherché à accroître ses connaissances institutionnelles, au contact d’autres E10, par des formations avec des think tanks ou grâce à l’accès à toutes les réunions du Conseil dans les trois mois précédant le début du mandat. Troisièmement, la Suisse s’est appuyée sur des communautés de pratique, recevant le flambeau sur des dossiers spécifiques de la part d’anciens E10, (re)formant des coalitions et des groupes de travail et consolidant son statut d’interlocuteur compétent en agissant dans différentes arènes internationales.

Biographie : Massimo Pico est titulaire d’un master en science politique de l’Université de Lausanne, où il s’est spécialisé en relations internationales. Durant ses études, il a notamment abordé les questions de gouvernance globale, d’économie politique internationale, de diplomatie multilatérale et de sécurité. Il occupe actuellement un poste de stagiaire académique au sein du Secrétariat d’État à l’économie (SECO), dans la division « coopération et développement économiques », qui contribue à réaliser les objectifs de politique économique extérieure de la Suisse.

Les membres du jury

POUR L’ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LES NATIONS UNIES

Emmanuel Decaux, Professeur émérite de l’Université Paris II
Yves Doutriaux,
Conseiller d’Etat affecté aux sections du Contentieux et des Finances du Conseil d’Etat
Cécile Pozzo di Borgo, Diplomate et Haute fonctionnaire

Pour le GRAM

Guillaume Devin, Professeur émérite des universités à Sciences Po, Président du jury
Benoît Martin, Docteur en science politique, chargé de mission à l’Atelier de cartographie de Sciences Po
Sarah Tanke, Maîtresse de conférences à Sciences Po Rennes